Photo de Moshe Feldenkrais

Ce texte est majoritairement issu d’une publication de Myriam Pfeiffer, l’une des premières élèves de Moshe Feldenkrais. Elle est la fondatrice de l’institut de formation à la méthode Feldenkrais « Accord Mobile » à Paris.

Texte édité par le Centre national de la danse – Ressources professionnelles – Fiche Santé Juillet 2017

Né en 1904 en Ukraine, mort en 1984 à Tel-Aviv, Moshe Feldenkrais est un physicien israélien d’origine ukrainienne, qui fut l’un des introducteurs du judo en France dans les années 1930. Suite à une blessure au genou, il se tourna progressivement vers la mise au point, à partir des années 1950, d’une méthode de soins non-conventionnelle inspirée des neurosciences, qu’il appellera « méthode Feldenkrais ». Il l’enseigne d’abord en Israël, puis en Europe et en Amérique du Nord. Au fil des années, il forme des professeurs praticiens de sa méthode dans divers programmes de formation professionnelle, d’abord à Tel-Aviv en Israël (1969-1971), puis à San Francisco en Californie (1974-1977) et enfin à Amherst au Massachusetts (1979-1981).

Feldenkrais et judo

Le genou de Moshe

Les interrogations essentielles ne nous arrivent souvent, hélas, qu’après une maladie, un traumatisme ou un accident. Elles ne surviennent qu’après l’ébranlement de l’édifice solide qu’un être humain se construit pour la commodité de son existence.

Moshe Feldenkrais se blesse grièvement au genou gauche en jouant au football. Les médecins lui proposent une intervention chirurgicale tout en lui disant qu’ils ne peuvent promettre plus de 50 % de réussite. Après avoir reçu toutes sortes d’autres soins, il décide de « réparer » tout seul son genou malgré l’avis des médecins. Moshe se plonge alors dans des études très détaillées d’anatomie, de kinésiologie, de physiologie, étudie tout ce qui concerne la mécanique humaine et plus spécifiquement celle du genou. Après avoir manipulé son genou pendant plusieurs mois, alors qu’il croit avoir trouvé la solution, en descendant du rebord d’un trottoir à Londres, les douleurs réapparaissent.

Déçu et déprimé, sur le point de tout abandonner, il comprend soudain qu’il est comme n’importe quel ignorant qui veut réparer une partie du système, sans connaissance du fonctionnement humain dans son ensemble, et qu’il lui faut procéder d’une toute autre manière. Moshe remet alors tout en cause : son éducation, son attitude, sa manière de penser, au point qu’au grand étonnement de sa mère et de son entourage, il abandonne le travail de recherches en physique qu’il exerçait depuis longtemps. « Je suis entré dans un labyrinthe très complexe » dit-il « et quand j’en suis sorti, j’ai compris que la capacité de se “rendre compte” dépend beaucoup du niveau de présence attentive de la personne qui est en train de participer à l’expérience. »

 

Accorder l'instrument avant d'en jouer

Le monde s’offre à lui d’une manière nouvelle : il faut comprendre que l’activité d’un organisme s’exerce avant tout dans le contexte d’une expérience vécue d’actions et de réactions par rapport à un environnement et que l’orientation dans l’espace est une des données les plus importantes.
Pour comprendre le fonctionnement humain, Moshe Feldenkrais posséde de nombreux atouts en tant qu’ingénieur en mécanique, en électricité, et en tant que docteur en sciences physiques : il travaille alors dans le laboratoire de Frédéric Joliot-Curie. En 1936, il est le premier en Europe à devenir ceinture noire de judo. Avec son maître Jigaro Kano et ses partenaires, il fonde le premier club de judo de France et écrit  « Judo, the Art of Defense and Attack ». Ainsi, il crée une passerelle entre la pensée scientifique, d’une part, et la pensée et la pratique orientale, d’autre part.

Moshe Feldenkrais conçoit le corps comme une réalité physique constituée de poids, de masses et de jeux de forces qui s’organisent en une unité fonctionnelle composée du squelette, des muscles et du système nerveux, en interaction avec l’environnement. Moshe met en évidence que les systèmes vivants sont soumis aux lois de la physique et de la chimie, mais règlent leur comportement d’après des signaux qui s’enregistrent et s’archivent au travers d’organes de perception qui vont former l’image de soi, la représentation de soi ou, mieux, la simulation : nous simulons le mouvement quelques millièmes de seconde avant de le commencer, car la représentation de l’action dans le système nerveux met en action les mêmes mécanismes que l’exécution de cette action.

Cette représentation mentale ne demande aucune dépense d’énergie musculaire. Moshe comprend que le schéma de fonctionnement – ou la mélodie cinétique – est déjà composé avant de faire le mouvement et qu’il est donc nécessaire d’accorder l’instrument avant d’en jouer.

Plus sensible est l’instrument, mieux on en joue.

C’est ainsi qu’il développe la méthode Feldenkrais fondée sur l’unité du corps et de l’esprit, la compréhension du fonctionnement sensori-moteur et de ses relations avec la pensée, les émotions, l’action et l’environnement. Cela exige une présence attentive qui n’est pas spontanée. Il faut la cultiver et faire un apprentissage, comme pour tout geste, et l’acquérir de façon progressive.

Une meilleure organisation du mouvement

Pour réorganiser l’image que l’on se fait de soi-même, il est nécessaire de changer la représentation que l’on se fait de chaque partie de soi, du pied à la tête, en la rendant disponible. Cela demande des réorganisations complètes de l’image de soi dans le cortex moteur. Avec des mots, c’est facile à dire. Mais comment le faire ?

C’est toute la perspective de la méthode Feldenkrais.
Elle permet d’accéder à une meilleure organisation du mouvement et de l’action par des mouvements exploratoires. En découvrant d’abord notre propre façon de fonctionner, nos schémas d’action habituels, nous allons ensuite développer des alternatives, des schémas nouveaux qui vont assouplir et enrichir notre répertoire. C’est ainsi que nous pouvons avoir un grand nombre de possibilités pour choisir spontanément les modes d’action les plus adaptés à chaque situation, à chaque instant.
Dans la pédagogie classique, l’apprentissage est compris comme étant la conséquence de répétitions utilisées dans le but de renforcer les voies déjà frayées du système nerveux. Feldenkrais a développé une méthode basée sur une approche tout à fait différente : à savoir que l’acquisition d’un nouveau schéma d’action requiert, non pas la répétition du même à l’identique, mais la réalisation d’une même action au travers de ses variations successives de telle façon que cette action peut être modifiée par des corrections sensorielles.

D’autre part, la notion généralement admise est que le corps doit être entraîné en faisant des efforts, en effectuant un travail dur, que le corps doit être dominé. Or, cette manière de travailler empêche de sentir et de trouver la juste force nécessaire. Seuls les muscles non-tendus sont capables de sentir. Un « flux libre » (Rudolph Laban) permet au contraire de percevoir, et de trouver flexibilité, grâce et force. Dans cette optique, l’entraînement le plus prometteur devrait être organisé de manière à allier une minimisation de l’effort à une large variété de sensations clairement différenciées. Il devrait mettre en place les conditions optimales favorisant l’absorption consciente et la mémorisation d’un riche éventail de sensations nuancées, rendues ainsi disponibles à la juste précision du mouvement volontaire. Les mouvements des danseurs orientaux et ceux exécutés dans les arts martiaux sont concentriques. Tout se courbe, les bras embrassent le corps. Tout converge vers le milieu. Les mouvements des danseurs classiques occidentaux sont souvent excentriques. Si les acrobates, les patineurs sur glace ou les plongeurs faisaient de même, ils se blesseraient. Il suffit de regarder les animaux, le chat par exemple, ils font des mouvements concentriques et sans effort.

La méthode Feldenkrais permet ce travail en profondeur, et la perception de soi dans son fonctionnement global.

Rechercher une qualité de l'attention

Moshe rappelait aussi souvent la nécessité de faire les mouvements lentement, en appréciant la sensation de plaisir, de découverte. Il recommandait de ne pas essayer de bien faire, ni de vouloir réussir, d’achever quelque chose, de ne pas développer la force de la volonté mais la capacité de pouvoir le faire aisément et de jouer comme le chaton joue avec une pelote de laine ou une chaussure. L’accent est mis sur la sensorialité et sur la nécessité d’une présence attentive pendant l’action. Seul un laisser-faire rend le corps disponible pour se laisser agir et s’ouvrir à une autre dimension. C’est possible et facile quand on s’ancre dans le bassin où se trouve la source de la force, et le flux de la vie peut circuler librement tout le long de la colonne vertébrale vers la tête, les bras et les mains, comme la sève dans l’arbre.

Nous assistons alors à un changement total dans la manière de percevoir et de sentir : la sensorialité, obtenue sans effort, sans tension, sans agression contre soi-même. L’essentiel n’est plus l’objet de notre attention mais la qualité de l’attention que nous lui portons, la qualité du senti. Il en découle naturellement une dimension véritablement humaine, une nouvelle attention à l’autre et à soi.

Moshe Feldenkrais – né en 1904 en Ukraine, mort en 1984 à Tel-Aviv – est un physicien israélien d’origine ukrainienne, qui fut l’un des introducteurs du judo en France dans les années 1930. Suite à une blessure au genou, il se tourna progressivement vers la mise au point, à partir des années 1950, d’une méthode de soins non-conventionnelle inspirée des neurosciences, qu’il appellera « méthode Feldenkrais ». Il l’enseigne d’abord en Israël, puis en Europe et en Amérique du Nord. Au fil des années, il forme des professeurs praticiens de sa méthode dans divers programmes de formation professionnelle, d’abord à Tel-Aviv en Israël (1969-1971), puis à San Francisco en Californie (1974-1977) et enfin à Amherst au Massachusetts (1979-1981).